Page:Rodenbach - Les Vies encloses, 1896.djvu/144

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On se reconnaît mal comme à se voir dans l’eau ;
On est si différent qu’on se semble nouveau,
Avec même une autre âme, avec d’autres idées,
— Des lis simples ont remplacé les orchidées ! –
Et de celui qu’on fut on se souvient si peu,
Moins que le soir ne se souvient du matin bleu !

Le malade ainsi songe et, dans sa vie, il erre.
Sa vie ! Elle lui semble à lui-même étrangère,
Elle s’efface et se résume à du brouillard ;
Ce qu’il s’en remémore, en tant de crépuscule,
Est advenu naguère à quelqu’un, quelque part ;
Peut-être est-ce à lui-même et qu’il fut somnambule ?
Peut-être qu’il se trompe et que c’est arrivé
À un qui lui ressemble et dans une autre vie ?
Passé qu’il a vécu, mais qui semble rêvé.
N’était-il pas un autre avant la maladie ?
Or ce pâle Autrefois si peu se prolongea,
Maison de l’horizon indistincte déjà
Qu’indique seule une fumée irrésolue…
Tout est si transitoire et si vite accompli !