Page:Rodenbach - Les Vies encloses, 1896.djvu/31

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Et les pâles cloisons sont un peu tatouées
Par les herbes et les poissons, les imageant…

C’est l’instant du prestige ! Émoi de l’eau recluse !
Est-ce que c’est du clair de lune qui s’infuse ?
Toute une vie occulte y prend un bain d’argent
Dans l’enchevêtrement silencieux d’un saule
Qui serait tout entier entré parmi cette eau…
Remuement incessant comme dans un cerveau ;
Clarté terne d’éclipse et d’un minuit du pôle !
On voit se dérouler des Limbes, dirait-on,
Comme si ces poissons, ces herbages, ces pierres,
N’étaient autres que quelques âmes prisonnières
Qui, captives du verre, attendent leur pardon ;
Des âmes s’épurant, comme à demi damnées,
Dans ce bassin opaque où s’exila leur sort,
— Lieu qui n’est plus la vie et qui n’est pas la mort ! –
Des âmes expiant et qui sont condamnées
À n’être ainsi qu’un minéral, qu’un végétal,
Ou qu’un poisson aveugle en ce muet cristal ;
Et l’on voit chavirer ces âmes somnambules
S’évertuant sans cesse à se sauver un peu