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La nuit, dans mon sommeil, votre fantôme cher
Les cheveux dénoués, en peignoir de dentelle,
Me hantait, et parfois la chimère était telle
Que mes bras suppliants s’ouvraient vers votre chair !




II


J’aurais imaginé là-bas, dans les banlieues,
Une chambre propice aux rendez-vous d’amour,
Une chambre mignonne avec un demi jour
Dont l’ombre aurait glissé dans les tentures bleues.

Là des fleurs, des parfums — oh ! les plus violents ! —
Des parfums qu’on eût fait brûler dans de grands vases ;
Et, puisque la musique alanguit les extases,
Vous m’auriez ébauché des Nocturnes dolents.

Puis, pour interpréter notre âme, un Lamartine
Ouvert au plus ému des chants de Jocelyn,
Qu’on aurait lu, vers l’heure où l’amour est enclin
À regarder le Soir qui sanglote en sourdine.

De ces bonheurs divins je n’en évoque aucun
Sauf la minute rare et toujours poursuivie
Où réciproquement on se double sa vie
Car tous les deux alors sont Dieu — n’étant plus qu’un !