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L’IDOLE ABATTUE.

que le frac anglais lui allait moins bien que l’habit à larges basques. Les femmes ne rougissaient plus et ne pâlissaient plus tour à tour à son aspect ; elles n’avaient plus vis-à-vis du Don Juan Noir, comme on l’avait appelé longtemps, cette timidité suppliante que l’on ne saurait comparer qu’au regard humide et voilé de la gazelle. Il ne jetait plus dans les promenades l’éclat d’un vif météore ; il lui sembla même qu’on ne le regardait que pour l’étrangeté de sa couleur. Le terrain sur lequel il marchait était devenu du sable… Ce n’était plus le beau, l’inimitable Saint-Georges ! D’autres plus heureux et plus jeunes, il est vrai, occupaient déjà les mille bouches des oisifs : c’étaient Garat, l’homme aux roulades et aux cravates ; le duc de Lauzun, devenu depuis le citoyen Biron, dont toutes les femmes s’engouaient et qui les trahissait avant de trahir la cour ; M. de Choiseul, surnommé le beau danseur. Depuis le jour où Saint-Georges s’était cassé le tendon d’Achille dans une partie de chasse, il ne devait plus prétendre à se faire admirer pour le bon goût de sa danse ; et pour le chant il était loin de valoir Garat. Saint-Georges ne put voir ces rivaux et d’autres encore sans le dépit jaloux d’un premier sujet auquel un acteur d’hier vient prendre son rôle. À ces blessures secrètes se joignirent bientôt d’autres chagrins d’amour-propre. Le talent particulier dont Saint-Georges avait fait preuve plus d’une fois au théâtre pour la composition trouvait bon nombre de contradicteurs. On sait que Saint-Georges avait travaillé à la partition de plusieurs opéras comiques ; or, à son retour, il ne manqua pas de gens pour écrire que sa