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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

chevalier, comme pour racheter sa faute, n’y fit graver que ces deux mots : Mater mea !

Avec cette mère, étoile de sérénité et de bonheur, se mourait toute force au cœur de Saint-Georges… Le mulâtre superstitieux se rappela que la veille de son départ elle lui avait fait les cartes, qu’au milieu de sa prédiction les larmes l’avaient suffoquée…

— Sans doute, se dit-il, elle n’a pas voulu me montrer les nuages de l’horizon ; elle aura craint de voir faiblir mon courage devant ce qui se prépare ! Ainsi me voilà vieux à l’œil de ces hommes qui se sont eux-mêmes vieillis à plaisir pour prendre la livrée d’une fausse philosophie ! Me voilà à nu, dépouillé de tout prestige, confondu dans la foule, moi qui autrefois la dominais ! Voilà où devait aboutir mon existence inutile ; je n’aurai rien fait, sinon de servir de hochet à ce siècle dissipé ; je n’aurai pas même eu les passions d’un noble cœur ! Ah ! puisque l’absence de ce misérable m’interdit jusqu’à la haine, puisque de Vannes me fuit, il me faut choisir une route par laquelle je rentre dans le paradis ou dans l’enfer ! Il y a ici deux partis en présence, le parti de la cour et celui de ce triste prince avec lequel j’ai rompu tout lien et toute entrave. Je n’hésiterai pas, mon sort est fixé. Dans mes plus brillans succès, c’est toujours une femme qui m’a souri ; une femme est l’ange qui peuple nos solitudes ! Celle de mon âme a besoin d’être habitée. Tu n’as fait que me précéder, ma mère ; je sens que je ne tarderai pas à t’aller rejoindre ! Mais, rassure-toi, je ne veux point mourir, noble et généreux fantôme, sans avoir sauvé celle