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LA RUE BOUCHERAT.

il t’appelait, il invoquait le nom de ta mère mêlé à celui de Dieu ! J’espérais, Saint-Georges, que tu resterais seul pour me soutenir, et voilà maintenant que je te retrouve dans la fièvre et dans le besoin… Heureusement, ami, que je suis riche ! Viens, partons, suis-moi ; retournons tous deux à Saint-Domingue ! C’est là que s’est écoulée notre première enfance, Saint-Georges ; c’est là que nous devons mourir, nos deux mains entrelacées. Depuis hier, ami, j’ai vu deux hommes finir, l’un sous mon épée, l’autre sous la main de Dieu. Mais tout n’est point dit d’autres spectacles et d’autres morts nous attendent. Ne vois-tu pas, frère, tout le monde courir à sa ruine ; autour de nous n’entends-tu pas la terre qui tressaille sous nos pas ? Oh ! viens à Saint-Domingue, et laisse derrière toi le fléau ; viens à Saint-Domingue, où désormais tu vas rentrer libre, où, si tu le veux, tu seras maître ! Qui pourrait, réponds, valoir pour nous les voiles du Cap gonflées par le vent, la mer des Antilles radieuse sous un beau ciel, les mornes altiers où vit l’aigle ? Déjà plusieurs de ces hommes qui nous entourent émigrent au loin. Allons retrouver, nous aussi, la patrie absente, les beaux sites et les beaux jours. Allons, veux-tu venir ? Partons demain, cette nuit…

— Cette nuit, Maurice, sera peut-être pour moi la dernière. M’aurais-tu reconnu ? dis-moi, suis-je autre. chose qu’un fantôme ? N’importe, mon frère, pars, oh ! pars vite pour ne pas me voir mourir. Détache ce portrait de ma cheminée ; tu le donneras à ceux qui se souviennent de moi là-bas, oui, là-bas… à