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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

que vous prescrit votre naissance ? Je ne suis rien, Maurice, je ne puis vous faire ombrage. Vous avez un régiment, et je n’en ai point ; vous allez épouser Mlle Agathe de La Haye, pour laquelle j’eusse donné ma vie avec bonheur ! Moi je n’ai pas de nom, moi je ne suis point aimé ; vous voyez, Maurice, que vous êtes le plus heureux !

— Tant que je ne vous ai trouvé que sur le chemin de mon ambition, monsieur, j’ai pu supporter l’injustice d’une telle rencontre. Que la noblesse de France en soit venue à méconnaître aujourd’hui tout ce qu’il y a de pur et de loyal dans son sang, cela se conçoit. La cour sort à peine des intrigues ténébreuses d’un règne qui encombrait les places de ses créatures. La vérité pas plus que le mérite ne franchit les grilles de Versailles. On veut des courtisans, ce sont des Bretons, des Vendéens qu’il faudrait. D’autre part on tient à s’étourdir, on joue auprès de l’abîme. Vous êtes né pour ce siècle-ci, monsieur ; vous dansez, vous faites des armes à ravir ! Peu m’importe la place que vous choisirez désormais à la cour, je l’abandonne, je me jette dans l’armée. Mais je vous rencontre sur le passage de mon amour, et nul ne doit toucher à cet amour, si ce n’est celui qui toucherait à mon visage ! Auriez-vous pensé d’aventure que cette jeune fille vous aimât ? Pour ceci, monsieur, ce serait trop de témérité. Permis à vous d’étonner et de séduire des vertus vulgaires ; mais par ces jours de bouleversement et de mélange inouï, c’est aux femmes à ne pas prostituer leurs caresses et à redresser les torts de cette époque perdue !