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LA RUE DE L’ORATOIRE.

— Je n’ai point dit, marquis, que cette jeune fille m’aimât. Je me trouve heureux de lui avoir rendu un service ; tout ce que je regrette, c’est de n’être point mort après cela !

— L’aimeriez-vous ? murmura Maurice en se rapprochant de lui avec une incroyable expression de menace et d’ironie…

— Eh bien, oui, je l’aime ! répondit-il en levant au ciel un regard humide où se peignait une tristesse désespérée : je l’aime, parce qu’elle ne m’a point repoussé comme vous, cette femme que, comme vous, j’avais sauvée ! Elle n’a point détourné de moi son regard, ainsi que vous faites en ce moment ; elle ne m’a point rappelé avec d’amères paroles que je n’étais pas de sa couleur ! Cette bague, Maurice, elle me l’a présentée avec la joie sur le front, comme une messagère céleste qui descendrait d’un nuage… Oh ! je l’aime, je l’aime, mais d’un amour respectueux et saint que je n’ai jamais ressenti que devant des anges ! Je l’aime, et vous allez l’épouser ; je l’aime, et il n’y aura pas de jour où vous ne m’insultiez désormais en sa présence !

Saint-Georges avait laissé retomber sa tête sur sa main… Agathe entr’ouvrit alors ses yeux, qui brillaient d’un éclat extraordinaire… La molle blancheur de son front et de ses épaules lui donnaient l’air d’un beau cygne qui se réveille… Elle avait entendu ces paroles de Saint-Georges remplies d’une héroïque abnégation : l’esclave lui faisait mépriser le maître. Il lui prit une irrésistible fantaisie de contempler les traits de Saint-Georges : ils étaient empreints de je