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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

car M. de Langey venait de mourir, — j’ignorais de quelle mort terrible, mon Dieu !!! »

Ici M. de Boullogne se couvrit le front de ses deux mains ; on eût dit que cette mort, dont il était innocent, n’en fit pas moins planer devant son œil une ombre terrible !

« Vingt ans après, reprit le vieillard, — il y avait ce jour-là spectacle à Versailles, j’occupais une place à côté du duc de Bourbon, lorsqu’en me retournant j’entrevis dans le fond de la loge voisine une figure que l’ombre semblait rendre encore plus noire… Au premier coup d’archet, la figure se leva, je réconnus un mulâtre… Je demandai son nom. Tous parurent surpris de me le voir ignorer ; on ne parlait que de lui, les plus orgueilleux gentilshommes le copiaient ! Les femmes adoptaient la couleur de son habit ; il était la joie et l’orgueil de toutes les fêtes ! Cependant sa vue causa en moi une inexprimable révolte : je venais de reconnaître en lui ce fils que je m’étais imposé la loi de repousser ! La négresse avait fait baptiser son enfant sous le nom que cet homme portait ; ses lettres ne me le laissaient point ignorer. Si parfois, je le confesse, mes regards s’étaient tournés vers ce fils, c’était pour me le montrer comme un être condamné à partager l’humiliation des esclaves, à demi barbare par sa seule éducation ! Il ne me venait pas en pensée qu’il pût jamais secouer la honte de ses entraves. Je frémis en le retrouvant ; il allait peut-être divulguer ma honte par ses empressemens et par ses caresses. Je me rassurai en voyant qu’il n’éprouvait pas même un seul mou-