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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES

composait de la lie même du bas peuple…… Saint-Georges se rappelait le dernier carnaval, dans lequel on accusait ce prince d’avoir osé chanter lui-même des couplets contre la reine, couplets infâmes attribués faussement à M. de Louvois… Il le voyait toujours parcourant les halles et les mauvais lieux sous le manteau, ou fouillant les sottisiers du temps pour y apprendre les termes les plus populaciers et les plus ignobles ; tristes chants, mornes couplets qui devaient retomber sur lui de tout le poids sanglant de leur mémoire lorsqu’il s’achemina plus tard vers l’échafaud !

— Jamais ! non jamais ! s’était écrié le chevalier, je ne me rendrai complice de la honte de ce prince ! Placé sur cette pente, j’aurai bien la force de ne pas glisser ! Assez d’autres sans moi se chargeront d’aplanir la route à ses vices ! Dieu m’a formé sans doute d’un autre limon que le sien, car il s’est complu à mettre en moi l’horreur de l’avilissement, en moi qu’il fit naître esclave !

Si le chevalier devait avoir lieu de s’affermir bientôt dans une pareille idée, n’était-ce point à ce bal de l’Opéra où le caprice seul et l’empire de la mode l’avaient cependant conduit ? Il y venait pour intriguer sous le masque certaines femmes dont il connaissait la vie : c’étaient pour la plupart des natures folles, coquettes, façonnées depuis longtemps à l’intrigue ; le chevalier ne les poursuivait guère que par vanité. Dans cet heureux siècle, il y avait autre chose à l’Opéra qu’un ennui imposant et taciturne, des rencontres prévues et des dénoûmens certains. C’était le