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RÉFLEXIONS.

théâtre de la galanterie dégénérée de roumain, il est vrai, mais à travers ce jargon conventionnel on reconnaissait encore l’esprit délicat de la noblesse et l’empire réel de certaines femmes accomplies.

Cependant cette gaîté grimacière avait lassé bien vite le chevalier… En rencontrant à ce bal Mlle de La Haye, dont jusque-là Saint-Georges ignorait même l’existence et dont le masque cachait la figure, il ressentit une commotion soudaine ; il lui sembla qu’il touchait à l’un des momens suprêmes de sa vie…

Avec cette jeune fille, il entra dans le bal je ne sais quel parfum de grâce céleste, une musique douce, harmonieuse, qui plongea le mulâtre dans une rêverie indéfinissable… Il crut voir passer sous ce domino une belle et jeune fée ; il quitta le bras d’une comédienne qui l’ennuyait pour voir marcher devant lui ce divin fantôme. Il suivit d’abord le domino lilas à travers les mille pieds du bal, aspirant sans doute au moment où la foule lui permettrait de lui parler, attiré vers lui comme par un rendez-vous tacite et mystérieux. Tout d’un coup il le perdit de vue, il le chercha, et il entendit des voix. Il n’eut pas de peine à reconnaître un complot ; rien n’y manquait ; le lieu, le signalement du domino… Ce fut là pour Saint-Georges une torture inouïe, moins cruelle cependant que celle qu’il devait subir au souper, que de ne pouvoir déjouer d’un coup les manœuvres de ces infâmes, de perdre et de retrouver tour à tour le fil de leur perfidie, de se contenir vis-à-vis d’eux et d’accepter ce rôle silencieux de gardien que le ciel lui prescrivait.

Oh ! que pendant l’orgie à laquelle il fut s’asseoir,