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Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges, v3, 1840.djvu/22

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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

vous êtes l’Américain, le créole le plus heureux de Paris ?

Ce titre de créole, auquel Saint-Georges tenait prodigieusement, répandit un rayon d’épanouissement sur sa figure.

— Vous devez avoir beaucoup d’amis !… autant que de femmes, si le ciel est juste, continua de Vannes.

— Pour les femmes, mon cher, vous pourriez ne pas vous tromper ; j’ai fait mes preuves !… Le boudoir est cependant plus glissant parfois que la salle d’armes, témoin cette lettre que j’ouvre et qui est parbleu de Vestris, le dieu de la danse. Ne m’interdit-il pas d’aller sur ses brisées près de ses écolières, grandes dames ou danseuses ! Ce sera depuis ma rencontre chez la Guimard, rencontre admirable, en vérité, où M. Vestris m’a trouvé, sa propre pochette en main, lui montrant un pas créole !… Comprenez-vous quelle a dû être sa fureur ! Je supplantais le dieu avec son arc et ses javelots !

— Il y avait de quoi l’irriter.

— Je le crois ! D’autant que je maltraitais fort sa pochette et que je prenais un malin plaisir à lui essouffler sa danseuse ! Il répétait toujours : « Ménagez-la ! » Je n’écoutais pas. Vous eussiez bien ri de le voir gesticuler avec ses bras de faune, me redemandant sa pochette et son élève par tous les dieux du Styx et de l’Opéra ! Je crois, en vérité, que son titre de professeur méconnu lui avait monté la tête, car il m’a fallu presque me fâcher pour le mettre à la raison !