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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

devait jeter dans l’âme d’un jeune homme naïf de singuliers étonnemens. La foule s’y portait, les femmes y donnaient le ton ; ce n’était partout que marchés clandestins, témérités permises, parfums, lasciveté folle. Mlles Duthé ; Guimard, Sophie Arnould, que vous aviez vues involontairement la veille au Wauxhall ou au Colysée, s’y promenaient en robes flottantes, avec d’énormes bouquets et des poudres odorantes à leurs cheveux, répandant ainsi autour d’elles l’arôme d’une cassolette. Laissant au boulevard du Temple et aux bourgeois les parades de saltimbanques et les fantoccini de Carlo Perico ; elles allaient entendre jouer de la harpe, du violon ou de la guitare dans cette trop célèbre allée où la voix fougueuse de Camille Desmoulins, succédant à tant de murmures amoureux, devait retentir plus tard près les charmilles devenues le palladium des nouvellistes.

Le bruit des cuillères cessa bientôt sur les tables du jardin ; les dégustateurs de sorbets écoulaient les sons purs d’Alsevédo chantant une romance d’Albanèze.

La voix du chanteur manquait d’étendue, mais le sentiment en était divin. L’intelligence et le goût suppléaient chez lui à la faiblesse des moyens ; il n’annonçait pas avec affectation les consonnes de la gorge ou des lèvres avant de les prononcer, il avait ce goût du chant qui fit une merveille de Garat.

Mme de Montesson l’écoutait avidement… Passionnée pour la musique, se piquant de bien juger et rivale en fait de harpe de Mme de Genlis, elle s’écria :