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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

Langey. C’était peut-être la dispensatrice des faveurs ; par elle ils auraient l’oreille d’un contrôleur général en France. Tôt ou tard M. de Boullogne reviendrait visiter son habitation et sa châtelaine. Les hauts emplois de la métropole ne passaient pas pour être alors occupés par des gens désintéressés de tout trafic ; si quelque étranger avait pu même conserver des doutes à cet égard, les confidences naïves de ces fonctionnaires l’en eussent tiré. Ministres arbitraires, ils ignoraient Jusqu’à leurs ennemis et leurs fautes. Obstinés comme presque tous les gens de finance, ils formaient autour du gouverneur de la colonie une chaîne qui ne laissait arriver à lui aucune récrimination. La coupable idolâtrie de l’argent, plus que celle des honneurs, se dénotait chez eux par une soif d’échanges, de trafics sourds, honteux. L’erreur semblait être l’apanage de leur esprit. Humbles et rampans auprès des nobles, ils jouaient chez eux le rôle de charlatans politiques, cachant les blessures de la colonie sous la couche brillante de ses vices ; ce furent ces mêmes hommes qui tarirent la source la plus abondante des richesses de la France, ces mêmes hommes dont la négligence coupable livra Saint-Domingue au désastre et au pillage !

Abîmée dans la contemplation muette de cette société dont elle étudiait les figures, la marquise avait perdu ses airs de gaîté. Pendant que tout ce monde lui vantait déjà les plaisirs de l’île, elle en était à se demander à elle-même la raison de sa tristesse. Comme un malade qui goûte le breuvage qu’il s’est fait, elle trouvait la première de l’amertume au fond