Aller au contenu

Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
ÉVÉNEMENS

ce cercle une altitude indolente, se laissant changer d’assiettes sans les salir, broutant quelques feuilles de son beau et large bouquet qui le disputait aux ananas à gerbes pourprées par ses mille nuances, et n’écoutant pas plus les sornettes de ces messieurs que les traités de morale des professeurs de Maurice.

Cependant M. de Bongars était gouverneur de la colonie, M. d’Esparbac était intendant et avait du goût, et M. de Vannes faisait de petits vers pour se consoler des rigueurs du biribi.

M. Gachard, le financier, possédait à son doigt une crapaudine de cinq cents louis, le galon de ses laquais était plus large ; il osa raconter qu’il dormait fastueusement dans un lit doré sous un ciel de glaces et qu’il consommait six cents nègre. Ceci lui valut un coup d’œil…

Une certaine dignité froide ayant cependant remplacé bientôt la première gaité du vin, une partie de la société dut songer à la retraite. Le silence de la plaine était devenu profond, la nuit assez noire, le sol éclairé seulement par les scarabées traînant leurs corps étincelans sur les sables. Des exhalaisons dévorantes, s’élevant du sein des marais, corrompaient alors les parfums de l’acacia ; la terre haletait de chaleur et de fatigue. Si la fièvre de l’industrie n’eût point secoué, à la table même de Mme de Langey, ces lourdes natures, ses convives fussent demeurés pour la plupart ; mais dans peu ces corps assoupis se remuèrent. Le pas des chevaux et la voix des laquais retentirent bientôt sous la galerie ; la marquise jeta à ses hôtes un bonsoir majestueux du haut de son


10