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AMOUR.

Par un singulier hasard, le seul tableau qui ornât le salon de la marquise, c’était une toile de David Téniers représentant Saint-Georges le Martyr délivrant une princesse. La scène avait lieu près de Silène en Afrique. Saint-Georges, tribun des soldats, était revêtu dans ce tableau d’une longue cotte de mailles ; son pied droit posait sur la tête d’un dragon énorme dont les naseaux vomissaient la flamme. Un bois de lance brisé était fixé dans l’aile de l’animal ; dont l’œil menaçant regardait encore la princesse destinée à lui servir de pâture. La couleur toute flamande de ce tableau, son nerf, son éclat, avaient fait la plus grande impression sur le mulâtre. Dans son esprit, cette belle souveraine les cheveux nattés de perle, que son patron délivrait d’un si grand péril, c’était sa maîtresse, la noble marquise de Langey ! Souvent le jeune homme considérait ce tableau et lui envoyait des baisers en l’absence de celle dont il lui retraçait l’image ! Dorénavant toutes ses facultés ne tendaient qu’à un seul but, celui de vaincre la froideur de la marquise, d’enchaîner son attention. Cette fois, c’était un ravin qu’il faisait franchir à son cheval au risque de se tuer sur les bayaondes aiguës, un autre jour quelque buse effarée qu’il tirait en l’air, à côté de la berline, et qui venait s’abattre avec fracas dans ses roues. L’indifférence de Mme  de Langey pour tous ces tours d’adresse, entrepris dans la seule idée de lui plaire, était visible ; elle regardait à peine, entourée comme elle l’était de discoureurs tendres et passionnés, de conteurs aimables, séduisans. La créole se penchait à peine hors de sa voiture pour donner un

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