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Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/306

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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

ordre ; encore était-ce rarement à Saint-Georges que ce bonheur venait à échoir ; en réalité il était nul, elle ne s’apercevait même pas qu’il l’accompagnât au milieu de ce cortège. Ce dédain résolu causait un mulâtre des tourmens inexprimables. Il eût donné sa vie pour obtenir un regard, un mot, un éloge ! Alors s’élevaient dans son âme de sombres et d’orageuses pensées ; une voix qu’il n’avait pas ouïe jusque-là lui disant qu’il valait mieux que tous ces hommes assidus près de la marquise, il relevait la tête avec fierté et se promettait son jour de vengeance…

Chaque soir, il ne craignait pas d’escalader les pitons les plus escarpés pour aller chercher ces petites plantes épanouies tendrement sous l’œil de Dieu et rafraîchies par les abondantes rosées. Il les mariait aux pervenches rouges, aux fleurs du caprier à longues siliques, de l’amélie, des jasmins du Cap au milieu desquels leurs aigrettes diaprées scintillaient délicatement.

Chaque soir aussi, depuis un certain temps, il déposait ces fleurs sous la moustiquaire de Mme de Langey…

La marquise, préoccupée du faste et des dépenses de M. le prince de Rohan, ne manquait pas de lui faire honneur de cette attention, en disant à sa mulâtresse :

— M. de Rohan est vraiment un homme unique ! La cour de Versailles a eu raison de nous l’envoyer, car c’est un grand diplomate ! Il ne me dit rien de son amour, conçois-tu ?