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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

elle vous chantera tout le long du chemin des airs créoles ; cela vaudra mieux pour vous que le spectacle de Saint-Marc, où vous avez manqué de laisser vos deux oreilles ! Allons, préparez-vous, je cours veiller aux apprêts de ma caravane !

Et Joseph Platon descendit l’escalier en fredonnant un refrain de vieil opéra. Saint-Georges était demeuré sans voix devant cette ivresse stupide du gérant de la Rose, ivresse qui renversait tout le plan de son bonheur. Pour Noëmi, sa joie de quitter cette demeure était réelle : Platon ne venait-il pas de lui dire que le sort de son fils devait être amélioré ? L’esprit borné des négresses croit toujours aux félicités possibles, et celle-là son fils la méritait, ce serait pour lui une terre de Chanaan toute nouvelle ! D’ailleurs cette émigration forcée l’arrachait au fatal amour dont Finette lui avait fait confidence, et que la négresse maudissait intérieurement. Elle s’éloigna, laissant Finette pensive et regardant Saint-Georges avec de grands yeux noirs tout humides.

— Est-ce que vous irez là-bas, Saint-Georges ? murmura la triste enfant. Qui vous aimera aux Cayes après Noëmi ? qui vous dira de ne pas désespérer ?

— Rassure-toi, Finette, je n’irai pas.

Il y eut une vibration mélancolique dans cette phrase soudaine. Le mulâtre regardait Finette avec une lucidité de regard qui donnait à ses yeux l’éclat d’un diamant noir. Tout d’un coup il l’embrassa avec transport et comme il ne l’avait jamais embrassée ; l’étreinte d’un adieu que l’on pressent de-