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LE PORTEFEUILLE

détail un bon et saint homme. D’abord curé à la Guadeloupe, il était venu à Saint-Domingue.

Saint-Georges le vit bientôt fermer son bréviaire ; l’homme au manteau brun lui parlait bas à l’oreille ; il lui glissa dans la main trois belles piastres d’Espagne…

— Vous n’oublierez point cette messe pour lui, mon père : c’est un anniversaire ineffaçable pour moi. Quand vous direz cette messe, il y en aura, par mes soins, une autre de célébrée au couvent de la Merced… Adieu !

Ces paroles dites, il se remit en selle après avoir bu quelques gorgées d’une outre placée aux côtés de sa monture. Ce fut seulement alors qu’il aperçut le mulâtre derrière les feuilles. La persistance de ce curieux si matinal l’inquiéta. Soit qu’il le prit pour un espion ou un voleur, il s’en fut à lui et l’interrogea avec rudesse. Saint-Georges répondit avec fierté.

— Si tu veux parler, comme tu le dis, au curé de Saint-Marc, pourquoi ne pas le faire ? Il est là…

Le mulâtre garda le silence.

— As-tu une raison ? Dis-la.

— Parce que j’ai peur de le chagriner, monsieur, répondit-il avec amertume. Il me parlera de ma mère, je le sens bien, et je n’aurai pas le courage de lui dire : « Je l’ai quittée ! »

— Tu fuis d’une habitation ? De la partie française, peut-être ?…

— Vous l’avez dit. C’est de la Rose que je fuis.

— De la Rose ?… dit l’homme en rejetant son corps en arrière comme pour mieux envisager le