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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

mulâtre… Dès lors, mon jeune gars, rassure-toi, tu n’as qu’à voyager côte à côte de moi, si tu as peur, prends mes pistolets… tu n’as pas d’armes

Voyant que Saint-Georges hésitait :

— Crains-tu que je te livre ? Alors quitte-moi. Mais je te promets asile et bonne tutelle chez moi, par saint Jacques de Compostelle !… Viens avec moi : voici des cigares et des vivres, nous partagerons. Chemin faisant, tu me conteras ton aventure…

Il offrit au mulâtre un coup de son outre, contenant du vin très-passable, et rompit avec lui la moitié de son chocolat. Rassuré par ces prévenances, Saint-Georges rangea sa mule près du cheval barbu de son compagnon ; celui-ci l’interrogea bientôt sur les plus petits détails de l’habitation qu’il fuyait. L’air de secrète anxiété dont il écouta ce récit, dans lequel l’amour de la marquise de Langey tenait une place si grande, surprit beaucoup le mulâtre… Ce morne étranger ne disait rien, il ne l’interrompait pas ; son histoire achevée, il se contenta de lui prendre, la main et de lui dire :

— Merci !

Saint-Georges l’avait racontée, cette histoire, avec une grande naïveté ; il n’avait rien omis, rien déguisé ; son chagrin le plus sensible, c’était cette froide indifférence, ce mépris que la marquise faisait de lui et de son amour.

— Parce que je suis mulâtre, répétait-il, est-ce à dire que je ne vaille pas un blanc ? — Dussé-je me