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L’AJOUPA

plats, de quelques peaux de bœufs ou nattes de paille au lieu de lits, elle avait l’air de protester contre la tempête par le tintement répété de ses sicayes, cuillères du pays faites d’une tranche de calebassier marron que ses cinq convives frappaient en mesure l’un contre l’autre. Le vent soulevait en vain au dehors les lanières de cette misérable cahute ; en vain il éparpillait, en se glissant sous la porte, les cendres de son foyer, le bruit des cuillères et le son du banza y duraient encore.

Ainsi que nous l’avons dit, il y avait cinq êtres humains réunis au moment de cet ouragan sous l’ajoupa. Ce groupe curieux se composait d’une négresse, d’un vieux nègre guinéen jouant avec les charbons du feu qu’il affectait de prendre dans ses mains de temps à autre, comme étant sûr qu’il n’en serait point brûlé, de deux enfans, l’un négrillon, l’autre mulâtre ; enfin, d’un blanc armé d’un long fouet et portant à sa veste un petit sifflet d’ivoire.

Éclairées en ce moment par la vive lueur du bois-chandelle que la négresse se vit contrainte d’allumer pour lutter contre ces ténèbres inattendues, ces figures offraient une étude intéressante de castes distinctives…

Celle de la maîtresse du lieu eût attiré la première votre attention.

Cette femme avait dû être belle, de la beauté que possèdent les négresses esclaves aux colonies ; elle conservait encore une incontestable perfection de formes sous ses haillons. Les rugosités de sa peau et l’altération de ses traits faisaient rêver douloureuse-