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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

Jeune plongeur, entouré de reptiles voraces, on le voyait déjà défier le caïman, ou chasser, en se traînant sur le ventre, dans l’eau peu profonde des lagons, portant le fusil du gérant de l’habitation sur sa tête, et tuant d’un seul coup plusieurs pintades maronnes. Doué, comme tous les mulâtres, d’une aptitude singulière pour les arts d’imitation, cet enfant de douze ans était déjà, à son insu, un artiste. Son oreille était sensible à la musique ; avec quelques mots pris au hasard, il se formait un rhythme et une chanson. Pendant que Zäo, ses deux bras sous le menton, regardait stupidement brûler les bouses sèches ou mangeait des melons d’eau à moitié mûrs, le mulâtre s’en allait causer avec les domestiques blancs de l’habitation, qu’il récréait par ses tours d’adresse, ou bien, de concert avec les postillons nègres de Saint-Domingue, il courait près d’eux éprouver la bonté de leur attelage, au grand galop, par les chemins les plus difficiles. Parfois on l’avait vu, à Saint-Marc ou au Port-au-Prince, faire des tours de voltige sur un mulet qui n’était ni sellé ni bridé, tirant en l’air un ramier avec son fusil, et s’élançant de là pour escalader la croupe de mornes pierreux et sans verdure. Amené, il n’y avait pas trois ans, à Saint-Domingue par Noëmi, qui revenait alors de la Guadeloupe, il s’était vu, ainsi que sa mère nourrice, porté sur l’habitation de M. de Boullogne, située à l’Artibonite. Joseph Platon, le gérant de la cotonnerie, demeurait son surveillant et son Mentor.

L’intelligence de M. Joseph Platon, il faut le dire, ne lui donnait guère de droits à une pareille charge.