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L’AJOUPA.

Mais comme c’était lui qui s’était institué de son plein consentement le patron de ce jeune mulâtre, nommé Saint-Georges, il en résultait que son élève lui faisait honneur devant les autres esclaves de l’habitation, qu’il menait très-gaillardement à coups de fouet. M. Joseph Platon s’était de bonne heure embarqué pour les colonies avec peu d’argent et beaucoup de résolution, comme cela se pratiquait avant les temps qui précédèrent les désastres de Saint-Domingue. Nommé d’abord commis aux gabelles par la protection de M. de Boullogne, du ressort de qui cet humble poste dépendait, il y avait encouru certains désagrémens qu’il n’avait, hélas ! que trop prévus, tels que platassades et coups de gaule de la part de quidams outrés et mal appris qui font du rat de cave une véritable victime. L’idée de se venger de ses infortunes sur une partie de la société le tourmentant, il avait résolu de faire payer aux nègres des Antilles son passé d’étrivières et d’écorchures. Les citronniers, le ben odorant et les figues bananes l’attiraient moins aux colonies que l’espoir de la domination, et Barthélemi de Las Casas, qui plaida la cause des insulaires opprimés, lui aurait paru dans l’histoire un homme bon à pendre. Le génie de Joseph Platon, si l’on peut toutefois nommer génie l’ambition de la médiocrité, consistait dans une gestion plus heureuse que régulière, une grande fanfaronnade d’aptitude et une ténacité de routine qui aurait fait honneur à un alcade espagnol.

D’une nature poltronne, il s’appuyait sur le code de la force et de l’autorité, comme tous les gens qui