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Comme cette avenue à ce lac parallèle
Qui, de la brune à l’aube et de l’aube au déclin,
Répète rire, effroi, baiser, crime ou querelle
Que, selon le décor des saisons, pêle-mêle
Il réfléchit, passants sur ce vivant chemin
Qui marche et qui vieillit toujours nouveau sans fin ;
Comme cette avenue à ce lac parallèle,
Je lui devais la joie idéale et charnelle
D’avoir senti souvent jusqu’à taire nos voix
Le charme de mirer notre extase jumelle,
Comme cette avenue en ce lac parallèle !…

Et quand j’allais au devant d’elle, que de fois
Vers son front clair d’amour, vers son cœur fou de flammes
J’eus du ciel plein les yeux en traversant le bois,
Ce bois intime où tant et tant nous nous aimâmes,
Corps à corps, avec nos âmes !

Aussi ce bois gardien de nos meilleurs émois
Savait, rien qu’à mes pas, prendre geste et figure
Pour m’évoquer l’aimée : Il imitait la voix
Secrète de sa lèvre et l’embaumé murmure
De ses baisers errants au rythme de nos cœurs.
Suivant les jours il arborait sa chevelure
Ondulée en buissons lourds et couleur de mûre,
Ou se mamelonnait des vermeilles blancheurs
De la neige, au soleil, éclatante et dorée
Comme les tons de miel de sa poitrine ambrée !
Ou, parfois, sous l’arc épais d’un sombre croissant
De broussaille, il me jetait, soudain, à l’orée
D’un sentier, son regard d’un brun fauve et luisant
Tel que, dans l’ombre, l’or en grappe des cytises.
Qu’il fut d’été, d’hiver, de rouille ou verdissant,
Toujours ce bois sacré suscitait mes hantises,
Surtout aux moments doux des heures indécises…
Et, quand son souffle chaud haletait, se grisant
Aux puissantes senteurs qu’expirent les épines