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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/88

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que j’adore ? Te connais tu en honneur ? Sais-tu ce que c’est que l’amour ? Sais-tu en quoi consistent les bons services, toi qui te donnes pour sensé ? Ignores-tu que le premier degré de folie est de se croire savant ? Si tu comprenais ma douleur, tu emploierais un autre moyen pour calmer cette ardente blessure que m’a faite la flèche de Cupidon. Autant Sempronio m’est secourable avec ses pieds, autant tu m’es fastidieux avec ta langue et tes vaines paroles. Tu feins d’être fidèle, et tu es un amas de tromperies, une confusion de malices, la demeure même de l’envie ; pour diffamer la vieille à tort et à raison, tu cherches à décourager mon amour ; tu sais cependant que ma peine et ma douleur ne peuvent être traitées par la raison, ne veulent pas d’avis, ne peuvent être conseillées. On aura beau faire, on ne pourra les chasser ni les enlever sans m’arracher les entrailles. Sempronio ne savait s’il partirait ou s’il resterait ; je voulais ce qu’il voulait, et maintenant je souffre de son absence et de ta présence. Mieux vaut être seul que mal accompagné.

Parmemo. Seigneur, la fidélité est faible, la crainte d’affliger la change en flatterie, surtout avec un maître que la douleur et la passion privent de son jugement. Le voile qui vous aveugle disparaîtra, ce feu momentané passera ; vous reconnaîtrez que mes rudes paroles valent mieux pour détruire ce cruel cancer que les cajoleries de Sempronio, qui le nourrissent, qui attisent votre feu, animent votre amour, excitent votre flamme, l’irritent, l’alimentent et finiront par vous conduire au tombeau.

Calixte. Tais-toi, homme perdu ; je souffre, et tu philosophes. Je ne t’écoute plus. Qu’on dispose un cheval, qu’on l’étrille bien, qu’il soit bien sellé, je veux passer devant la demeure de celle qui est ma maîtresse et mon dieu.

Parmeno, dans la cour. Garçons ! Il n’y en a pas un à la maison, il faut que j’y aille moi-même ; je ne m’attendais guère à faire l’office de palefrenier. Allons, bon, mes commères ne m’aiment pas parce que je dis la