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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/100

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Lorsqu’entre deux extrêmes il n’y a pas de milieu, il est du devoir de l’homme de choisir le plus sage. J’aime mieux offenser Plebère que fâcher Calixte. J’irai donc. Il y aurait pour moi plus de honte à passer pour lâche qu’il n’y aura de peine à accomplir avec audace ce que j’ai promis : jamais la fortune n’abandonne le courage. Je vois déjà sa porte ; je me suis vue en de plus grands dangers. Du cœur, du cœur, Célestine, ne faiblis pas ; il y a toujours des gens disposés à intercéder en faveur des patients. Tous les augures se montrent favorables, ou je ne m’y connais pas. Sur quatre hommes que j’ai rencontrés, trois se nomment Jean, et deux sont cornards. La première parole que j’ai entendue dans la rue était une parole d’amour. Je n’ai pas fait un faux pas comme les autres fois. Il semble que les pierres s’écartent et me livrent passage ; mes jupes ne m’arrêtent pas, je ne me sens pas de fatigue en marchant. Tout le monde me salue ; pas un chien n’a aboyé après moi ; je n’ai vu ni un oiseau noir, ni une grive, ni un corbeau, ni d’autres oiseaux sinistres ; et le mieux de tout cela, c’est que j’aperçois Lucrèce, la cousine d’Élicie, sur la porte de Mélibée. Elle ne me sera pas contraire.

Lucrèce. Quelle est cette vieille qui vient en tortillant ?

Célestine. La paix soit dans cette maison !

Lucrèce. Célestine, la mère, sois la bienvenue ! Quel dieu t’amène dans ce quartier, que tu parcours si rarement ?

Célestine. Ma fille, mon amour, c’est le désir de vous voir toutes ; je t’apporte des complimens d’Élicie, et je viens voir tes deux maîtresses, jeune et vieille, que je n’ai pas visitées depuis que j’ai changé de quartier.

Lucrèce. C’est pour cela seulement que tu es sortie de chez toi ? J’en suis surprise, ce n’est pas là ton habitude ; tu n’as pas coutume de faire un pas sans qu’il doive te profiter.