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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/99

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quelque traitement ignominieux, tel que le fouet ou un voyage sur la couverture49. Oh ! qu’alors ces cent pièces d’or me seraient amères ! Malheureuse que je suis ! dans quel piège me suis-je mise ! j’ai voulu montrer du zèle et du dévouement, et je vais me donner en spectacle ! Que ferai-je, pauvre femme que je suis ? Il ne m’est pas avantageux de retourner en arrière, et la persévérance ne manque pas de dangers. Irai-je ou m’en retournerai-je ? Ô dure et terrible perplexité ! je ne sais que choisir pour mieux faire. À oser il y a danger manifeste ; à reculer il y a perte évidente. Où ira le bœuf s’il ne travaille plus ? Sur chacun des deux chemins je découvre des fondrières profondes et dangereuses. Si je suis prise sur le fait, je ne manquerai pas sans aucun doute d’être tuée ou mitrée50. Si je n’y vais pas, que dira Sempronio ? Que là sans doute se bornaient toutes mes forces, mon savoir et mon courage, ma ruse et mes promesses, mon astuce et ma sollicitude. Et son maître Calixte, que dira-t-il ? que fera-t-il ? que pensera-t-il ? Qu’il n’y a que fausseté dans mes engagements, que j’ai découvert le complot pour avoir plus de profit de l’autre côté, que je ne suis que ruse et malice. Ou bien, s’il ne lui vient pas une pensée aussi odieuse, il criera comme un fou, il me jettera au visage de violentes injures, il me reprochera tous les embarras dans lesquels l’aura mis mon indécision ; il me dira : « Pourquoi, vieille putain, as-tu excité ma passion avec tes promesses ? Fausse maquerelle, tu as des pieds pour tout le monde, tu n’as pour moi qu’une langue ; pour tous tu as des œuvres, pour moi tu n’as que des paroles ; pour tous le remède, pour moi seul la peine ; pour tous du zèle, pour moi seul de la nonchalance : tu trouves pour tous la lumière, il n’y a pour moi que ténèbres. Pourquoi, vieille traîtresse, es-tu venue t’offrir à moi ? Tes offres m’ont donné de l’espoir, l’espoir a retardé ma mort, soutenu mon existence ; je suis devenu heureux et gai ; tes offres sont restées sans effet ; la peine ne te manquera pas, ni à moi le sombre désespoir. » Hélas ! hélas ! le mal d’une part, le mal d’autre part, des deux côtés la désolation.