Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/126

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dire du mal de tout le monde, et moi je n’offense personne. Oh ! que la peste éternelle te consume, querelleur, envieux, maudit ! Est-ce là toute l’amitié dont tu étais convenu avec Célestine et moi ? Va-t’en au diable !

Calixte. Si tu ne veux pas, ma bonne mère, que je me désespère et que mon âme soit condamnée à une peine éternelle, dis-moi promptement si ta demande n’a pas eu un bon résultat, si l’accueil de la reine de ma vie a toujours été aussi cruel et aussi rigoureux. Tout ce que tu m’as dit est plutôt signe de haine que d’amour.

Célestine. Le plus grand mérite de l’abeille, et tous les gens discrets doivent l’imiter, c’est qu’elle rend meilleures les choses qu’elle touche. C’est ainsi que j’ai agi avec les raisons cruelles et dédaigneuses de Mélibée. J’ai converti toute sa rigueur en miel, sa colère en douceur, sa vivacité en tranquillité. Que pensiez-vous donc qu’allait faire là cette vieille Célestine que vous avez traitée si magnifiquement et si au delà de ses mérites, si ce n’est calmer sa colère, supporter ses caprices, parler en votre absence, recevoir sur sa mante les coups, les affronts, le mépris, le dédain dont ces jeunes femmes sont prodigues quand on commence à leur parler d’amour, afin que plus tard on attache un plus grand prix à leur consentement ? Celui qu’elles aiment le mieux, elles le traitent le plus mal ; s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait aucune différence entre les demoiselles bien nées et les femmes publiques, dont la profession est d’aimer. Quelle distinction pourrait-on faire si toutes disaient Oui à la première proposition, à la première preuve d’amour ? Les demoiselles bien nées, quoique dévorées par les besoins et la passion, témoignent, par respect pour leur honneur, une froideur extrême, un fier dédain ; leur tenue est toujours chaste et grave, leurs réponses ont une aigreur telle que la langue elle-même s’étonne de tant de dissimulation et se