Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/137

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dis-moi, pour Dieu, est-ce là tout ? Je meurs de désir d’entendre quelqu’une des paroles sorties de cette bouche divine. Comment, ne la connaissant pas, as-tu été assez audacieuse pour t’introduire et parler aussi familièrement ?

Célestine. Ne la connaissant pas ? Elles ont été quatre ans mes voisines, je les voyais, je causais, je riais avec elles nuit et jour. La mère me connaît mieux que ses propres mains, et Mélibée, depuis lors, est devenue grande, intelligente et gentille.

Parmeno, à part. Hé, Sempronio, écoute, que je te parle à l’oreille.

Sempronio. Eh bien, que veux-tu dire ?

Parmeno. Cette attention extrême de Célestine donne à notre maître l’occasion de prolonger ses bavardages. Approche-toi d’elle, touche-la du pied, faisons-lui signe de ne pas rester davantage et de s’en aller. Il n’y a pas d’homme assez fou pour parler beaucoup quand il est seul.

Calixte. Tu dis, mère, que Mélibée est gentille ? Il semble que tu le dises pour te moquer. Y a-t-il sa pareille au monde ? Dieu a-t-il créé un corps plus remarquable ? Pourrait-on peindre un tel visage, modèle de beauté ? Si aujourd’hui vivait Hélène, pour laquelle sont morts tant de Grecs et de Troyens, ou la belle Polixène69, elles se soumettraient à la reine de mon cœur. Si elle avait été présente à la querelle des trois déesses qui se disputaient la pomme, jamais on n’aurait appelé ce fruit pomme de discorde ; car, sans opposition aucune, toutes trois auraient consenti à ce qu’elle échût à Mélibée, et on l’aurait ainsi nommée pomme de concorde. Combien de femmes n’y a-t-il pas, qui connaissent Mélibée, qui se maudissent et qui querellent Dieu parce qu’il les a oubliées quand il a créé ma bien-aimée ? Elles consument leur vie, se rongent les chairs par envie, s’imposent de cruels martyrs, pensant, à l’aide de l’artifice, égaler la perfection, dont la nature l’a dotée. Les unes épilent leurs