Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/138

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sourcils avec des pinces, des onguents composés de poix et de cire ; les autres cherchent les herbes dorées, des racines, des branches et des fleurs pour faire des lessives afin de rendre leurs cheveux semblables aux siens ; elles se meurtrissent le visage, le couvrent de couleurs, de pommades, d’eaux fortes, de fards blancs et colorés que je n’énumère pas pour éviter d’être fastidieux. Vois, hélas ! si Mélibée, qui a trouvé cela tout fait, mérite d’avoir pour serviteur un homme aussi triste que moi.

Célestine, à part. Je te comprends, Sempronio, laisse-le, il tombera de sa bête et se taira.

Calixte. La nature s’est plu à la faire parfaite, elle a réuni en elle les grâces qu’elle partage entre les autres ; elles se sont toutes donné rendez-vous chez elle, afin que ceux qui la voient puissent juger du talent du peintre. Une goutte d’eau claire, avec un peigne d’ivoire, lui suffit pour surpasser en gentillesse toutes les femmes d’ici-bas. Voilà ses armes, c’est avec cela qu’elle fascine et qu’elle tue ; c’est ainsi qu’elle m’a captivé, c’est ainsi qu’elle m’a attaché et me retient dans les chaînes les plus dures.

Célestine. Silence, ne vous fatiguez pas, la lime que je tiens est plus aiguë que n’est forte la chaîne qui vous captive. Je la couperai afin que vous soyez libre ; en attendant, permettez-moi de partir, car il est tard, et laissez-moi emporter ce cordon, car, vous le savez, j’en ai besoin.

Calixte. Ô malheureux que je suis ! l’adversité me poursuit toujours ; je voudrais rester, pendant cette longue et triste nuit, avec toi, avec le cordon, ou avec tous deux. Mais comme il n’y a pas de bonheur complet dans cette vie de douleur, vienne la solitude tout entière… Holà !

Parmeno. Seigneur ?

Calixte. Accompagnez cette bonne mère jusqu’à sa maison, et qu’il aille avec elle autant de plaisir et de joie qu’il me reste de tristesse et d’isolement.