Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/154

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passé par là ni joui de ce dont tu jouis, que j’ignore ce qui se passe, ce qui se dit et ce qui se fait ? Hélas ! qui en a plus entendu que moi ? Mais sache donc que j’ai été jeune et recherchée comme toi, que j’ai eu des amis, que jamais je ne repoussai d’auprès de moi ni vieux ni vieille, que je ne refusai leurs conseils ni en public ni en secret. Sur ma mort, que je dois à Dieu ! j’aimerais mieux un grand soufflet au milieu du visage. À te voir et à t’entendre, il semble que je sois née d’hier. Pour te faire honnête, il faudrait que tu me fisses ignorante et honteuse, il faudrait m’enlever ma vieille habitude et mon expérience, me déprécier dans mon métier afin de t’élever dans le tien. Mais de corsaire à corsaire on ne perd que les barils79. Je fais plus d’éloges de toi quand tu n’es pas là, que tu ne t’estimes en ma présence.

Areusa. Mère, si j’ai commis une faute, pardonne-moi. Approche-toi, et qu’il fasse ce qu’il voudra ; j’aime mieux ta satisfaction que la mienne. Je me crèverais un œil plutôt que de t’offenser.

Célestine. Je ne suis pas offensée, mais je te parle pour l’avenir. Dieu vous garde tous deux ! Je m’en vais seule, car vous m’agacez les nerfs avec vos baisers et vos folâtreries ; j’en ai encore le goût dans les gencives ; je ne l’ai pas perdu avec les dents.

Areusa. Dieu te conduise !

Parmeno. Mère, veux-tu que je t’accompagne ?

Célestine. Ce serait découvrir un saint pour en couvrir un autre. Dieu vous garde ! je suis vieille, je ne crains pas qu’on me fasse violence dans la rue.


Élicie. Le chien aboie. Vient-elle enfin, cette maudite vieille ?

Célestine. Tac, tac, tac.

Élicie. Qui est là ? qui frappe ?

Célestine. Descends m’ouvrir, ma fille.

Élicie. Est-ce ainsi que tu vas ? c’est ton plaisir