Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/183

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Pour l’amour de Dieu, quitte ta mante, afin de pouvoir plus à l’aise t’occuper de mon mal, et indique-moi quelque remède.

Célestine. Désirer guérir est déjà une grande partie de la guérison ; c’est ce qui me fait croire que votre douleur n’est pas bien dangereuse. Mais afin que je puisse vous donner, avec l’aide de Dieu, des soins convenables et salutaires, il faut que je sache de vous trois choses : la première, à quelle partie de votre corps la sensation est plus tenace et plus douloureuse ; la seconde, s’il y a peu de temps que vous l’éprouvez, parce que les maladies légères se guérissent plus facilement dès leur principe, que lorsqu’elles ont eu leur cours et leur effet. On dompte mieux les animaux dans leur jeune-âge que lorsque leur cuir a durci et est devenu moins sensible à l’aiguillon ; les plantes qu’on transporte tendres et nouvelles viennent mieux que celles qu’on déplace lorsque déjà elles portent leurs fruits ; on se corrige mieux d’un péché nouveau que de celui dont on s’est fait une habitude de chaque jour. Enfin, comme troisième question, veuillez me dire si cette douleur provient de quelque cruelle pensée qui vous serait venue en cet endroit ; cela su, vous me verrez agir. N’oubliez pas surtout qu’au médecin comme au confesseur il faut tout dire à cœur ouvert.

Mélibée. Amie Célestine, femme habile autant que sage, tu m’indiques on ne peut mieux le chemin par lequel je puis t’expliquer mon mal. En me demandant ces détails, tu parles comme une femme habituée à soigner de telles maladies. C’est du cœur que vient mon mal, le sein gauche est sa demeure, il étend ses rayons de tous côtés. En second lieu, il est nouvellement né dans mon corps ; je n’avais jamais pensé que la douleur pût chasser la raison comme fait celle-là ; elle me trouble la figure, m’ôte l’appétit, je ne puis dormir, je ne puis supporter aucune espèce de gaieté. La cause ou la pensée, car c’est là la dernière question