Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/184

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que tu m’as posée, je ne saurais te la dire ; je sais cependant que ce n’est ni mort de parent, ni perte de biens temporels, ni soubresaut de vision, ni mauvais rêve, ni autre chose. Ce ne peut être que le trouble que je ressentis lorsque je soupçonnai que la demande que tu me faisais de cette prière pouvait bien cacher quelque démarche en faveur de ce cavalier.

Célestine. Comment, madame, est-il donc un si méchant homme ? Son nom a-t-il quelque chose de si redoutable, qu’il soit mortel de l’entendre prononcer ? Ne croyez pas que ce soit là la cause de votre douleur, il en est une autre que je soupçonne, et si vous me le permettez, madame, je vous la dirai.

Mélibée. Comment, Célestine, quelle nouvelle permission demandes-tu ? As-tu donc besoin d’autorisation pour me donner la santé ? Quel médecin a jamais pris une telle précaution pour guérir un malade ? Parle, parle, je te permets tout, pourvu que tes paroles n’offensent pas mon honneur.

Célestine. Je vois, madame, que d’un côté vous vous plaignez de la douleur et de l’autre vous redoutez la médecine. Votre hésitation me donne de la crainte, la crainte m’impose silence, le silence met une trêve entre votre mal et ma médecine. Tout cela sera cause que votre douleur ne cessera pas et que ma venue sera sans résultat.

Mélibée. Plus tu retardes tes soins, plus tu accrois et multiplies ma peine et ma passion. Ou bien tes remèdes sont poudres d’infamie et liqueurs de corruption qui causent une douleur bien plus cruelle que celle qu’éprouve le patient, ou bien ta science est nulle. Si l’un ou l’autre cas ne t’arrêtait pas, tu m’indiquerais sans crainte un remède quelconque ; je te conjure d’agir et ne te demande que de ménager mon honneur.

Célestine. Madame, vous n’ignorez pas qu’il faut plus de force au blessé pour souffrir l’ardente térébenthine et les points de couture qui déchirent la