Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/191

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je me taisais par crainte, je dissimulais par fidélité ; et, en vérité, un conseil donné avec fermeté eût mieux valu qu’une plate flatterie. Mais puisque votre grâce ne veut d’autre remède qu’aimer et mourir, il est fort raisonnable qu’elle agisse selon les dispositions de son cœur.


Alisa. Que viens-tu faire ici chaque jour, voisine ?

Célestine. Madame, il manquait hier un peu de fil pour compléter le poids, et je suis venue l’apporter ; j’ai donné ma parole, je devais la tenir, et maintenant je m’en vais. Dieu soit avec vous !

Alisa. Qu’il t’accompagne !


Alisa. Mélibée, ma fille, que voulait la vieille ?

Mélibée. Me vendre un peu de fard.

Alisa. Je crois cela plutôt que ce que me disait la mauvaise sorcière. Elle a pensé que cela me ferait de la peine, et elle a menti. Méfie-toi d’elle, ma fille, c’est une grande traîtresse ; le voleur rôde toujours autour des riches demeures. Avec ses trahisons, ses fausses marchandises, elle sait corrompre les meilleures intentions, elle perd les réputations ; si elle entre une fois dans un logis, elle y fait naître le soupçon.

Lucrèce. Notre maîtresse y avise un peu tard.

Alisa. Par amour pour moi, ma fille, si elle revient ici sans que je la voie, ne la reçois pas bien et ne lui souhaite pas la bienvenue. Cherche ta réponse dans ton honnêteté, et jamais elle ne reviendra ; la véritable vertu est plus redoutable que l’épée.

Mélibée. Est-ce ainsi qu’elle agit ? Je ne la verrai plus. Je suis ravie, ma mère, d’être prévenue et de savoir de qui je dois me garder.