Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/207

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suis convaincu, frère, qu’il ne doit pas être chrétien. Ce que la vieille traîtresse a manigancé avec ses sorcelleries pestiférées, ce qu’elle a fait avec ses fausses paroles, il dit que les saints de Dieu le lui ont accordé ou l’ont obtenu pour lui ; c’est avec cette prétention qu’il veut briser la porte. Il n’aura pas donné le premier coup, qu’il sera entendu et pris par les serviteurs du père de Mélibée, qui dorment tout auprès.

Sempronio. Ne crains rien, Parmeno, nous sommes assez éloignés, et dès que nous entendrons du bruit, nous nous trouverons bien de fuir. Laisse-le ; s’il fait mal, il le payera.

Parmeno. Tu parles bien, tu lis dans mon cœur ; ainsi soit fait, fuyons la mort, car nous sommes jeunes ; ne vouloir ni mourir ni tuer, ce n’est pas lâcheté, c’est bon naturel. Ces écuyers de Plebère sont des fous, ils ne désirent pas tant manger et dormir que se quereller et se battre ; or, ce serait une grande folie qu’attendre le combat avec des ennemis qui aiment mieux la guerre et le désordre que la victoire et la gloire de vaincre. Oh ! si tu voyais comme je suis, frère, tu aurais plaisir ! À demi tourné, les jambes écartées, le pied gauche en avant, en fuite, les pans de ma tunique relevés, le bouclier démonté et sous le bras, afin qu’il ne me gêne pas ; je crois, pour Dieu, que je courrai comme un daim, tant j’ai crainte d’être ici.

Sempronio. Je suis bien mieux, moi, j’ai attaché ma rondache et mon épée avec les courroies, afin de ne pas les laisser tomber en courant, et j’ai mis mon casque dans le capuchon de ma cape.

Parmeno. Et les pierres dont tu l’avais remplie ?

Sempronio. Je les ai toutes jetées pour aller plus légèrement. J’ai bien assez de porter ces cuirasses que tu m’as fait prendre si mal à propos ; j’avais bien envie de refuser de les mettre, car elles me semblaient bien pesantes pour fuir. Écoute, écoute ! Entends-tu, Parmeno ? Il y a quelque malheur ; nous sommes