Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/213

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déjeuner, à lui et à moi ; peut-être l’agitation qui nous possède se calmerait-elle un peu ; mais je t’assure que je ne voudrais pas rencontrer un homme qui demandât la paix. Mon bonheur serait en ce moment de trouver quelqu’un sur qui faire passer ma colère, car je n’ai pu me venger de ceux qui l’ont causée, tant ils ont fui rapidement.

Célestine. La fièvre me tue si je ne suis pas tout effrayée de te voir aussi furieux ; je crois que tu t’amuses. Dis-moi, Sempronio, sur ma vie, que vous est-il arrivé ?

Sempronio. Pour Dieu, je n’ai pas ma raison, je suis désespéré ; mais cependant avec toi il faut calmer la colère et agir autrement qu’avec des hommes. Jamais je n’ai su faire étalage de ma force avec ceux qui ne peuvent rien. J’ai, ma mère, toutes mes armes en morceaux, ma rondache sans cercle, mon épée comme une scie ; mon casque, tout bossué, est là dans ma capuche ; je n’ai plus de quoi sortir avec mon maître lorsqu’il aura besoin de moi, et il est convenu qu’on se reverra la nuit prochaine dans le verger ; mais puis-je en acheter d’autres ? Je pourrais tomber mort faute d’un maravédis.

Célestine. Demande-le à ton maître, puisque cela a été perdu et brisé à son service. Tu sais bien qu’il est homme à le faire à l’instant ; il n’est pas de ceux qui disent : « Vis avec moi et cherche qui te soutienne. » Il est si généreux qu’il te donnera plus encore qu’il ne te faut.

Sempronio. Ah ! Parmeno a aussi perdu les siens : à ce compte tout son bien s’en ira en armes. Comment veux-tu qu’on soit assez importun pour lui demander plus qu’il ne fait de son propre gré, ce qui suffit grandement ? Qu’on ne dise pas de moi que lorsqu’on me donne un pied j’en prends quatre. Il nous a donné les cent écus, il nous a ensuite donné la chaîne : après trois secousses pareilles il ne lui resterait plus de cire dans l’oreille100. Cette affaire lui coûtera cher ; conten-