J’ai bien reposé ; le bonheur m’a donné ce calme et ce repos ; la fatigue du corps, la satisfaction et le bien-être de l’âme ont amené un bienfaisant sommeil. Il n’est pas étonnant que les uns et les autres se soient réunis pour fermer les cadenas de mes yeux ; car j’ai travaillé de corps autant que d’esprit ; j’ai joui de cœur autant que de sentiment la nuit passée. Il est certain que la tristesse excite la tête à penser, que les pensées et les soucis chassent le sommeil, ce qui m’est arrivé les jours passés quand je doutais encore de jamais parvenir au bonheur suprême que je goûte maintenant. Ô ma dame et mon amour, ô Mélibée ! que penses-tu en ce moment ? Dors-tu ou es-tu éveillée ? Penses-tu à moi ou à un autre ? Es-tu levée ou couchée ? Heureux et fortuné Calixte ! Puisse tout ce qui s’est passé n’avoir pas été un songe ! — Ai-je rêvé ou non ? Ai-je été le jouet de mon imagination, ou ce fait s’est-il réellement passé ? Mais je n’étais pas seul ; mes serviteurs m’ont accompagné ; ils étaient deux ; s’ils me certifient que cela a réellement eu lieu, je pourrai le croire sans hésiter. Je vais les faire appeler pour recevoir d’eux la confirmation de mon bonheur. Tristan, holà, petit, lève-toi, viens ici.
Tristan. Seigneur, me voici.
Calixte. Cours, appelle Sempronio et Parmeno.
Tristan. J’y vais, seigneur.
Calixte.
Repose et dors, cœur affligé.
L’amour a fermé tes blessures,
Tu viens de recevoir l’aveu
De celle que tu aimes tant.
Le plaisir succède à la peine,
Et tu ne la connaîtras plus,
Tu es enfin le favori
De Mélibée.
Tristan. Seigneur, il n’y a aucun de vos écuyers à la maison.