Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Areusa. Tais-toi, pour Dieu ! ma sœur, impose silence à tes plaintes, arrête tes larmes, essuie tes yeux, reviens à la vie ; quand une porte se ferme, la fortune en ouvre une autre ; ta peine, quoique cruelle, finira par se calmer. Il est bien des maux auxquels on ne peut remédier et qu’il est impossible de venger ; celui que tu déplores est d’un remède douteux, mais d’une vengeance facile.

Élicie. De qui doit-on avoir réparation ? la morte et ses meurtriers m’en ont laissé le soin. Je ne m’inquiète pas moins de la punition des coupables que du crime qui a été commis. Que veux-tu que je fasse, car tout retombe à ma charge ? Plût à Dieu que je fusse allée avec eux et que je ne fusse pas restée pour les pleurer tous ! Ce qui me donne le plus de douleur, c’est de voir que malgré tout cela cet homme déhonté et de peu de cœur ne cesse pas de visiter son fumier de Mélibée et de festoyer avec elle chaque nuit. Elle est toute fière, elle, de voir que du sang a été versé pour son service.

Areusa. Si cela est vrai, sur qui peut-on mieux se venger ? C’est à celui qui a mangé à payer l’écot. Laisse-moi faire, que je tombe sur leurs traces, que je sache quand ils se voient, comment, à quel endroit et à quelle heure, et renie-moi pour la fille de la vieille pâtissière que tu connaissais bien, si je ne fais pas en sorte de rendre amers leurs amours. Si je fourre dans cette affaire l’homme avec lequel je me querellais quand tu es entrée, tu verras s’il ne sera pas pire bourreau pour Calixte que Sempronio ne l’a été pour Célestine. Quelle joie il éprouverait maintenant si je lui faisais faire quelque chose pour mon service ! Il s’est en allé tout triste de ce que je le maltraitais. Il verrait les cieux ouverts si je retournais lui parler et lui commander quelque chose. Vois, sœur, dis-moi de qui je puis savoir comment se passa cette affaire ; je ferai dresser un piège qui fera pleurer Mélibée autant qu’elle se réjouit maintenant.