Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/262

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murmure avec douceur parmi cette fraîche verdure ! Écoute ces hauts cyprès, comme leurs branches agitées par le zéphyr se saluent avec harmonie ! Vois leurs ombres tranquilles, comme elles sont épaisses et favorables au bonheur ! Lucrèce, que penses-tu, amie ? n’es-tu pas folle de plaisir ? Laisse-le-moi, ne me le déchire pas, ne fatigue pas ses membres avec tes bras pesants ; laisse-moi jouir de lui, car il est à moi, ne me prends pas ma joie.

Calixte. Si tu veux que je vive, ma dame et ma gloire, ne cesse pas tes chants délicieux ; que ma présence, dont tu te réjouis, ne soit pas de pire condition que mon absence, qui t’afflige.

Mélibée. Que veux-tu que je chante, mon amour ? Comment puis-je chanter maintenant ? C’était le désir de te voir qui dirigeait ma voix, qui donnait des forces à mes chants. À ton arrivée, mon désir a disparu, le ton de ma voix a baissé.

Seigneur, puisque tu es le modèle de la courtoisie et des bonnes manières, comment demandes-tu à ma langue de parler et n’ordonnes-tu pas à tes mains de se tenir tranquilles ? pourquoi ne renonces-tu pas à ces mauvaises habitudes ? Dis-leur d’être calmes et de laisser là cette ennuyeuse coutume et cette occupation déplacée. Vois, mon ange, autant je suis heureuse de te voir tranquille auprès de moi, autant m’est pénible ton rigoureux traitement ; tes honnêtes badinages me font plaisir ; tes mains déshonnêtes me fatiguent quand elles passent les bornes de la raison. Laisse mes jupes à leur place, et si tu veux savoir si celle de dessous est de soie ou de toile, pourquoi touches-tu ma chemise ? Elle est de toile, je t’assure. Jouons, amusons-nous de mille autres manières que je te montrerai ; ne me défais pas, ne me maltraite pas comme tu as coutume. À quoi te sert d’abîmer mes vêtements ?

Calixte. Madame, celui qui veut manger l’oiseau commence par lui ôter les plumes.