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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/263

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Lucrèce, à part. La fièvre me tue si je les écoute davantage ! Est-ce là la vie ? J’en ai les dents agacées, et elle s’esquive pour se faire prier ! Bon, bon, le bruit est apaisé, ils n’ont pas eu besoin de pacificateurs. J’en ferais bien autant si ces imbéciles de serviteurs venaient me parler le matin, mais ils attendent que j’aille les chercher.

Mélibée. Mon doux seigneur, veux-tu que j’envoie Lucrèce chercher quelque collation ?

Calixte. Il n’est pas d’autre collation pour moi qu’avoir ton corps et ta beauté en ma possession. On trouve pour de l’argent et partout où on veut de quoi manger et boire : on peut l’acheter à toute heure, et chacun sait où se le procurer ; mais ce qui ne se vend pas, ce qui dans toute la terre ne se trouve qu’en ce verger, comment veux-tu que je laisse passer un seul moment sans en jouir !

Lucrèce. J’ai mal à la tête de les écouter ; ils ne se fatiguent pas de parler, ni leurs bras de jouer, ni leurs bouches de s’embrasser. Fort bien, ils se taisent, c’est pour de bon cette fois…

Calixte. Ô ma bien-aimée ! jamais je ne voudrais qu’il fît jour, tant mon cœur éprouve de gloire et de bonheur au doux commerce de tes membres délicats.

Mélibée. C’est moi, mon doux seigneur, qui suis la bienheureuse, c’est moi que ton amour honore, c’est toi qui me fais une faveur incomparable en me visitant.

Sosie, dans la rue. Est-ce ainsi, coquins, brigands, que vous venez surprendre ceux qui ne vous craignent pas ? Je vous jure que si vous m’attendez, vous recevrez le traitement que votre audace mérite.

Calixte. Mon amour, c’est Sosie qui crie de la sorte ; laisse-moi le rejoindre, que j’empêche qu’il ne soit tué ; il n’a qu’un petit page avec lui. Donne-moi vite mon manteau, qui est sous toi.