Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin que le bon et naïf sire Jacques de Lavardin, seigneur du Plessis-Bourrot, en Touraine, adressa la traduction qu’il fit, en 1578, de la Célestine, clair miroüer et vertueuse doctrine pour se bien gouverner, à très-nobles et vertueux gentilshommes Jean de Lavardin, révérend abbé de l’Etoile, et Antoine de Lavardin, seigneur de Rênay et Boessoy, ses frère et neveu.

« Le fruit que produit ce livre, leur dit-il, pour vieillir ne perd jamais saison, ni ne pouvoit en temps plus convenable être servi ; comme ainsi soit qu’en ce royaume aujourd’hui plus que jamais quasi toute la jeunesse, si gaillarde et follâtre, fait merveille de se jeter sus l’amour, et le professe à l’ouvert en telle dévotion, comme s’il n’estoit religion approuvée que celle-là, ni autre déité au ciel que Cupidon et son impudique mère. Quelqu’un desquels possible, lisant cette tragi-comédie et retenant les chastes et honnêtes admonestations, sans s’arrêter aux lascifs et dissolus propos, et de tout faisant son profit à l’imitation de la laborieuse abeille, qui d’un million de fleurettes différentes va recueillant son doux miel et sa cire, se repentira de la furieuse poursuite de ses passions insensées ; ou du moins le fera-t-il par le piteux exemple de la douloureuse et triste fin de deux infortunés amans. Pour le profit doncques de tous, décharge de ma conscience et satisfaction de mon devoir, et avec plus large usure vous faire savourer la bonté et douceur de ce fruit étranger et né en pays lointain, je me suis mis à le rendre notre domestique et familier françois, le repurgeant en plusieurs endroits scandaleux qui pouvoient offenser les religieuses oreilles,