Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/47

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par les battements de ses ailes et meurent cruellement3.

Enfin, que dirons-nous des hommes, sujets à tant de maux, soumis à tant de persécutions ? Qui saurait citer leurs guerres, leurs inimitiés, leurs jalousies, leurs emportements, leur colère, leurs variétés de costumes, leur manie de renverser et d’élever des édifices, tant de tristes choses enfin auxquelles est soumise la malheureuse humanité ? Et puisque la querelle et l’opposition sont une vieille et éternelle habitude, pourquoi m’étonnerais-je si le présent ouvrage a été un instrument de discorde entre ses lecteurs, et si chacun a voulu donner sur lui son opinion selon sa fantaisie ? Les uns le trouvaient prolixe, les autres trop court, ceux-ci agréable, ceux-là diffus ; de telle sorte qu’il appartiendrait à Dieu seul de le corriger de manière à satisfaire tant d’opinions différentes. Il a été conçu, comme toutes les choses de ce monde, sous l’empire de cette noble maxime : « La vie des hommes elle-même, si nous l’examinons bien, est une bataille depuis le premier âge jusqu’à celui où les cheveux deviennent blancs. » Les enfants combattent avec leurs jouets, les jeunes gens avec leurs livres, les jeunes hommes avec leurs plaisirs, les vieillards avec mille espèces d’infirmités. Ce livre déclare la guerre à tous les âges. Le premier le déchirera et le brisera ; le second ne le comprendra pas ; le troisième, celui de la force et des premières passions, y trouvera vingt sujets de discorde. Les uns ne s’occupent pas du fond et ne s’attachent qu’à la forme, c’est-à-dire au sujet, sans faire plus de cas des particularités qu’il renferme que d’un conte pour amuser en chemin ; les autres ne remarquent que les plaisanteries et les dictons, les louent par-dessus tout le reste et ne s’occupent d’aucune manière de ce qui peut leur être le plus profitable. D’autres enfin, qui recherchent les plaisirs sensés, s’occupent peu de la fable, la parcourent sommairement, rient de ce qui est agréable, mais retiennent les sentences et les paroles philosophiques, afin de les appliquer aux temps et aux circonstances.