Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/59

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Sempronio. Ce que je dis est trop sage pour des enfants qui ne savent pas se soumettre à la raison et qui ne veulent pas se laisser diriger. C’est chose misérable que de voir un homme qui n’a jamais été disciple se donner des airs de maître.

Calixte. Mais toi qui sais tout cela, qui te l’a appris ?

Sempronio. Qui ? Elles. Dès qu’elles se découvrent, elles perdent toute honte : elles apprennent tout cela aux hommes et plus encore. Gardez avec elles la mesure de votre honneur ; pensez que vous êtes plus encore que ce que vous estimez ; c’est sans contredit une pire extrémité de tomber de la place qu’on occupe que de se placer plus haut qu’on ne doit.

Calixte. Mais moi, que suis-je pour cela ?

Sempronio. Ce que vous êtes ? Homme d’abord et homme d’esprit ; bien plus, la nature vous a doué de ses meilleurs biens : la beauté, la grâce, une noble taille, la force, la légèreté. Outre tout cela, la fortune a partagé avec vous de telle manière, que vos biens intérieurs vont au mieux avec ceux du dehors ; car sans les biens temporels, dont la fortune est maîtresse, il n’est permis à personne d’être heureux en cette vie. J’ajouterai, ce que personne n’ignore, que vous êtes aimé de tous.

Calixte. Mais non de Mélibée, et elle l’emporte, sans qu’aucune comparaison soit possible, sur tout ce que tu vantes en moi. Vois la noblesse et l’ancienneté de sa famille, son immense patrimoine, son excellent esprit, ses vertus éclatantes, sa grâce ineffable, sa beauté souveraine, de laquelle je te prie de me laisser parler un instant pour que j’aie du moins quelque consolation. Je ne te décrirai que ce que nous pouvons voir, car si je pouvais citer ce qui est caché à nos yeux, il ne nous serait plus nécessaire de discuter d’une manière aussi misérable16.

Sempronio, à part. Que de mensonges, que de folies va dire mon pauvre maître !

Calixte. Que dis-tu ?