Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/61

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Et cette taille que je ne puis voir ; si j’en juge par l’apparence, elle est mieux encore que celle qui reçut la pomme de Pâris, l’arbitre des trois déesses.

Sempronio. Avez-vous tout dit ?

Calixte. Aussi brièvement que j’ai pu.

Sempronio. En supposant que tout cela soit la vérité, vous êtes homme et vous êtes plus digne encore.

Calixte. En quoi ?

Sempronio. En ce que la femme est imparfaite, et c’est pour ce défaut qu’elle vous désire, vous et tout autre moindre que vous. N’avez-vous pas lu le philosophe qui dit : « De même que la matière convoite la forme, de même la femme convoite l’homme. »

Calixte. Hélas ! quand verrai-je cela entre moi et Mélibée ?

Sempronio. Bientôt peut-être, et lors même que vous la haïriez autant que vous l’aimez, vous pourrez l’obtenir. Considérez-la avec d’autres yeux, libres du prestige qui vous fascine maintenant.

Calixte. Avec quels yeux18 ?

Sempronio. Avec des yeux clairvoyants.

Calixte. Et maintenant comment donc la considéré-je ?

Sempronio. Avec des yeux grossissants19, à l’aide desquels le peu semble beaucoup et le petit paraît grand. De peur que vous ne vous désespériez, je veux entreprendre d’accomplir votre désir.

Calixte. Oh ! Dieu te donne ce que tu souhaites ! Que je suis heureux de t’entendre, bien que je n’espère rien de ce que tu veux faire !

Sempronio. Je réussirai avant peu.

Calixte. Dieu t’exauce ! Le pourpoint de brocart que je portais hier, Sempronio, je te le donne.

Sempronio. Dieu vous récompense pour ce don et pour tous ceux que vous me ferez. (À part.) J’ai les meilleurs bénéfices de la plaisanterie ; s’il me stimule avec de tels aiguillons, je la lui amènerai jusque dans