Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/74

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doit aimer l’homme ; la seconde, que celui qui aime véritablement doit être poussé par le désir des souveraines jouissances créées par le père de toutes choses ; il faut que l’espèce se perpétue, sans cette loi elle s’anéantirait. Il n’en est pas ainsi seulement des hommes, mais des poissons, des bêtes, des oiseaux, des reptiles. Dans le règne végétal, quelques plantes obéissent à la règle commune, si elles ont crû à peu de distance l’une de l’autre et sans interposition de choses étrangères ; de là les horticulteurs et les agriculteurs ont dit qu’il y avait des plantes mâles et des plantes femelles. Que peux-tu répondre à cela, Parmeno ? Enfant, petit fou, petit ange, petite perle, louveteau ! Approche, innocent, tu ne sais rien de ce monde ni de ses jouissances. Mais la male rage me tue, si je te tiens près de moi, toute vieille que je suis… Tu as la voix rauque, ta barbe perce à peine ; tu dois avoir la pointe de la bedaine un peu inquiète27.

Parmeno. Comme la queue du scorpion.

Célestine. Plus encore, je pense, car l’une pique sans enfler, la tienne fait enfler pour neuf mois.

Parmeno. Hi, hi, hi !

Célestine. Ris, petit truand.

Parmeno. Tais-toi, mère, ne me fais pas de reproches, ne me prends pas pour un ignorant, bien que je sois jeune. J’aime Calixte, parce que je lui dois fidélité, parce que je lui appartiens, parce que je suis à ses gages, parce qu’il me traite bien et me considère ; c’est là la meilleure chaîne qui puisse attacher le serviteur à son maître ; le contraire les éloigne l’un de l’autre. Je vois qu’il est perdu, car je ne connais pas de position plus triste que de désirer une chose dont on n’espère pas le succès, et surtout de vouloir remédier à un mal aussi instant et aussi intraitable avec les vains conseils et les sottes raisons d’une brute comme Sempronio. C’est faire la chasse aux fourmis à coups de pelle et de pioche. Je ne puis supporter cela, je le dis et je m’en afflige.