Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/92

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pensées me plaisent, nous ne pouvons nous tromper. Mais il faut, mon fils, que tout bon procureur se crée des affaires, des raisons imaginaires, des actes sophistiques ; il faut qu’il aille maintes fois au tribunal, dût-il y être mal reçu du juge, afin que ceux qui le verront ne puissent pas dire qu’il gagne ses honoraires en s’amusant ; de la sorte chacun lui confiera son procès ; de même que chacun confiera ses amours à Célestine.

Sempronio. Fais comme tu voudras ! ce ne sera pas la première affaire dont tu te seras chargée.

Célestine. La première, ami ? Grâce à Dieu, parmi les vierges de notre ville qui ont ouvert boutique, il en est bien peu dont je n’aie fait le courtage des premières œuvres. La jeune fille qui naît est à l’instant même inscrite sur mon registre, car je tiens à savoir combien il m’en échappe. Que pensais-tu donc, Sempronio ? Puis-je me nourrir de l’air du temps ? Ai-je fait quelque héritage ? Ai-je une autre maison ou une autre vigne ? Me connais-tu d’autre revenu que le métier que je fais ? Qui me donne à boire et à manger ? Qui m’habille et me chausse ? Je suis née dans cette ville, j’y ai été élevée, j’y ai vécu honorablement, tout le monde le sait. Je n’y suis certes pas inconnue ; quiconque ignore mon nom ou ma demeure, tu peux le tenir pour étranger.

Sempronio. Dis-moi, mère, que s’est-il passé entre toi et mon camarade Parmeno, quand je suis monté avec Calixte pour chercher de l’argent ?

Célestine. Je lui ai dit le commencement et la fin43, je lui ai fait comprendre qu’il gagnerait plus avec nous, qu’avec les flatteries qu’il dit à son maître ; qu’il vivrait toujours pauvre et honteux s’il ne changeait pas de manière d’agir ; qu’il avait tort de faire le saint avec une vieille chienne comme moi ; je lui rappelai ce qu’était sa mère, afin qu’il ne méprisât pas mon métier et qu’il sût, lorsqu’il voudrait dire du mal de moi, que ce serait aussi bien à elle qu’il s’attaquerait.