pour cela : on faisait un cran sur sa taille et nous partions. Si son fils lui ressemblait, je te réponds que ton maître n’aurait pas une plume et nous pas un désir. Mais je me charge de le dresser, si je vis, et j’en ferai un des miens.
Sempronio. Comment penses-tu y parvenir ? C’est un traître !
Célestine. Nous serons deux contre lui, je lui ferai avoir Areusa, et il sera à nous. Il nous aidera à tendre sans embarras de bons piéges aux doublons de Calixte.
Sempronio. Crois-tu que tu pourras obtenir quelque chose de Mélibée ? As-tu quelque bon moyen de ce côté ?
Célestine. Il n’y a pas de chirurgien qui ne juge une plaie dès le premier appareil ; je puis te dire ce que je vois dès à présent. Mélibée est belle, Calixte est fou et généreux. La dépense ne lui coûtera rien, ni à moi la peine. Vienne l’argent, et le procès durera ce qu’il pourra. L’argent peut tout, il brise les roches, dessèche les rivières ; il n’y a lieu si haut qu’un âne chargé d’or n’y parvienne. L’extravagance et l’ardeur de Calixte suffisent pour le perdre et nous enrichir. Voilà ce que j’ai vu, voilà ce que j’ai deviné, voilà ce que je sais d’elle et de lui, voilà ce qui nous sera profitable. Je vais aller chez Plebère, et, sois tranquille, bien que Mélibée soit fière, elle n’est pas la première, grâce à Dieu, dont j’aie arrêté le caquet. Toutes sont chatouilleuses, mais quand une fois elles ont enduré la selle sur l’échine, elles ne veulent plus qu’on l’enlève. Le champ de bataille leur reste toujours, elles meurent, mais ne se fatiguent jamais ; si elles voyagent de nuit, elles ne voudraient jamais voir venir le jour ; elles maudissent les coqs parce qu’ils annoncent l’aurore, et l’horloge parce qu’elle va trop vite ; elles aiment les Pléiades et le Nord, elles se piquent d’astrologie. Quand elles voient poindre l’aube, elles aimeraient mieux qu’on leur arrachât l’âme : sa clarté leur obscurcit le cœur. C’est là, mon fils, un chemin