Page:Roland à Roncevaux.djvu/22

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cor se répand au loin. Charles l’entend, au passage des Ports. Le duc Naime écoute, les Francs écoutent… "Le comte Roland a la bouche sanglante. Sa tempe s’est rompue. Il sonne douloureusement, à grand’peine…" »

Sa souffrance le justifie. Essayant d’interpréter cette scène, jadis, dans mes Légendes épiques,[1] j’avais écrit ceci : « Pour tous ceux d’ailleurs qui aux siècles lointains ont entendu chanter la Chanson de Roland, pour tous ses lecteurs modernes, plus ou moins obscurément, la justification de Roland a commencé plus tôt, s’il est vrai que c’est la vaillance et la mort de ses compagnons qui le justifie progressivement, et qu’à mesure qu’il en mourait davantage, nous avons souhaité davantage que Roland n’appelât point. Les vingt mille ont combattu, sont morts sans jamais dire s’ils étaient du parti de Roland ou du parti d’Olivier, et peut-être tous ont-ils pensé ainsi qu’Olivier et tous se sont pourtant offerts à la mort comme s’ils pensaient ainsi que Roland. Roland leur devait cette mort, puisqu’ils en étaient dignes… Au début, Roland, étant Roland, étant celui qui s’élève d’emblée, non à la conception, mais à la passion de son devoir, ne pouvait pas appeler ; plus tard, à mesure qu’il élevait ses compagnons aussi haut que lui, il ne devait pas appeler. »

Aujourd’hui, pour avoir observé pendant les quatre années de la guerre les choses que j’ai observées, sachant mieux qu’un chef est sans force, qu’une troupe est sans force s’il ne s’établit du chef à la troupe et de la troupe au chef un courant double et continu de pensées et de sentiments bien accordés, je ressens l’insuffisance de cette analyse et combien il était faux de dire que Roland élève progressivement ses compagnons jusqu’à lui. Il

  1. Tome III, page 439.