Page:Roland à Roncevaux.djvu/23

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faut bien sentir au contraire qu’ils sont dignes de lui, et Olivier tout le premier, dès le début de la bataille, et que cette équivalence morale remonte à des jours et à des années en arrière. Comme Roland, depuis des jours et des années, ils sont ceux qui aspirent au parfait. Ses victoires passées furent leurs victoires ; son « orgueil » est fait de leur orgueil, sa « folie » est leur folie. Il ne s’est jamais distingué d’eux en rien, sinon par le don, qui est son propre, de discerner avant eux, par une intuition plus immédiate, par une illumination plus claire, ce qu’ils veulent. À son insu, à leur insu, il incarne leur volonté profonde. À Roncevaux, son privilège de chef, de héros, de saint, est seulement de voir au delà, d’apercevoir d’emblée l’œuvre comme nécessairement accomplie, la victoire comme nécessairement remportée.

La victoire, qu’il avait prédite à une heure où sa prédiction semblait d’un fou, et dont lui-même a fini par désespérer, puisqu’il sonne du cor en sa détresse, absurdement, quand il est trop tard, la victoire, il l’atteint au moment même où il en désespère. Il l’atteint, puisque le roi sarrasin s’enfuit, le poing coupé, puisque bientôt les dernières troupes sarrasines s’enfuiront. La victoire, les deux derniers survivants de ses compagnons, Olivier et Turpin, auront le temps de l’entrevoir :

2183Cist camp est vostre, mercit Deu, e mien,

lui dira Turpin, avant de succomber. Et lui-même, qui va mourir à son tour sur ce champ qui est sien, il contemplera la victoire, il jouira d’elle délicieusement au milieu des affres de sa passion de martyr :

« Roland sent que sa mort est prochaine.[1] Par les oreilles sa cervelle se répand. Il prie Dieu pour ses

  1. Vers 2259-2397.