Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/876

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ont fait quelques dupes, et de ce nombre sont même des enthousiastes. Le héros est un homme médiocre pour les facultés, mais excessivement impudent, de cette impudence ferme et tranquille que des yeux vulgaires prendraient pour la confiance du mérite. Il est également ambitieux, intrigant et hardi. Il a voulu faire sensation comme lieutenant de police ; il a affecté un zèle extraordinaire, en se tenant sur pied jour et nuit ; en faisant, par lui-même, une infinité de petites choses, qu’un homme d’administration eût ordonnées et fait exécuter de son cabinet ; en rendant une foule d’ordonnances pour capter la bienveillance du peuple qu’elles paraissaient favoriser, mais à l’avantage duquel elles étaient pourtant contraires, en éloignant approvisionnement et les denrées par des fixations ridicules qui dégoûtaient les gens de la campagne de rien apporter ; enfin en se vantant de choses auxquelles il n’avait jamais pensé et en s’attribuant les effets de la vigilance de l’intendant.

Perdu de dettes et abimé dans ses propres affaires, il a fait un mariage d’intérêt et presque déshonorant, en épousant, pour avoir du pain, une veuve plus que galante, et d’une réputation telle, que les femmes honnêtes ne veulent pas, même aujourd’hui, entrer dans sa société.

Voilà sur quoi vous pouvez, comme citoyen, prendre idée des mœurs du personnage en question. Cet homme a fait l’impossible pour être nommé député, il est parvenu à se trouver dans le nombre des rédacteurs de cahiers ; mais il n’a pas été plus loin, heureusement.

À moins que la démission de deux nommés qui se retirent n’ouvre une nouvelle porte à son audace et à ses intrigues. Il est en butte au Corps de ville, dont il n’est pourtant que le préposé ; il a réussi à se faire nommer lieutenant de police par le consulat, et c’est contre le consulat qu’il cherche à agir dans l’occasion ; il n’est pas plus considéré à la sénéchaussée ; enfin il n’y a que deux sortes de personnes à son égard : des admirateurs qui ne savent pas sur quoi fonder leurs éloges, et des personnes qui le méprisent, en attestant en preuve sa conduite et son peu de talent.

Faites passer le billet ci-joint à l’ami Lanthenas.